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Reportage : le "Pont qui savait écrire"...

Wednesday 18 September 2013, by Anne Deletoille.

Faire le pont un dimanche 15 septembre, c'est déjà une aventure
Je suis né en 1930, le 9 octobre pour être précis, après 4 ans de gestation intellectuelle et autant de matérielle et je suis très fier d’avoir été créé pour relier par la route le Léon à la Cornouaille, en traversant l’embouchure de l’Elorn à proximité de la radieuse cité du Ponant.

Depuis près de 20 ans, je me la coule douce à côté de mon jeune voisin, l’imposant pont de l’Iroise, mais je reçois toujours, quotidiennement, la visite de nombreux effleureurs de bitume qui, à pied ou à vélo, tiennent toujours à me rendre hommage. Oh my God ! J’en frissonne de toutes mes arches...
Aujourd’hui, dimanche 15 septembre 2013, je me suis paré de mon plus beau tablier pour accueillir une foule de curieux, amateurs de théâtre de rue, autour de 12 rendez-vous artistiques parfaitement décalés. Mes 888 mètres de longueur ont longtemps constitué un record mondial pour un pont à arcs de béton. Aujourd’hui, c’est mon triomphe et, si les festivals celtiques ont leur triomphe des sonneurs, moi, j’ai le triomphe déconneur. Ca va du béton, à l’image de mon charmant balcon, prêt à accueillir n’importe quel Royal baby à venir !

Imaginez un pont reliant la France à l’Angleterre ! Non, vous ne rêvez pas ; sortez la tête du tunnel car vous êtes aujourd’hui en Frangleterre, un territoire où la main de l’homme n’a jamais mis le pied. Une terre nouvelle modelée par le Fourneau de Brest, la compagnie anglaise Wet Picnic et la ville de Le Relecq-Kerhuon, dans le cadre du ZEPA2, un réseau dédié au développement des arts de la rue entre le nord-ouest de la France et le sud de l’Angleterre. Entre le grand Léon and the Cornwall, en quelque sorte. Je suis donc l’ouvrage d’art de circonstance pour peu que l’art (vivant) se mette à l’ouvrage.


Acte 1 Début de journée à l’instant « thé »
Mais chut ! J’entends un bruit léger de martèlement au-dessus de mes arches. Voici les premiers Frangleterriens qui approchent, panier d’osier et glacière aux bras, prêts à en découdre avec le fabuleux picnic on the bridge 2013. Seul le repas sera froid ; le reste est tout show !
Face à eux, à 10h10 tapantes, surplombant la rade, s’avance un bien étrange équipage roulant.


L’ambassadeur de la Frangleterre et ses ministres viennent inaugurer cette nouvelle terre. Dans un franglish absolument parfait et sans accent, il invite rapidement la population à tester le premier breakfast-petitdèj’ où le croissant épouse les corn-flakes et le thé le café. C’est ça aussi la Frangleterre !

Acte 2. Ici, on achète le vivant au prix du mort
La petite digestion se fera à travers le bois, dans les pas, sans doute, du sinistre du travail et de l’emploi fraîchement nommé. Les premiers spectateurs se sont massés devant une tente, sans trop savoir dans l’attente de quoi ou de qui.


Dans la peau d ’un employeur d’un jour, chacun va entrer dans le parcours professionnel de Francis 2 (L). Il a connu un vrai parcours du combattant et une vie saucissonnée en tranches qu’il retrace, dans un puissant plaidoyer, aussi fort que poétique, sur l’emploi... du verbe ÊTRE dans ce cursus douloureux mais oh combien touchant d’un être à la dérive.


La Frangleterre serait-elle un Eldorado pour les transfrontaliers du 15 septembre ?

Acte 3. Une main tendue par-delà les frontières ?
Sur le chemin du retour, on découvre Poc, le jongleur, rangeant son matériel. Il vient de jouer « Bobby et moi » mais il le rejouera à 14h53 et tout le monde y sera. Pour l’instant, il suffit de suivre le flot qui suit le chemin vers Loos-en-Gohelle. Les adeptes de la grasse matinée dominicale ont désormais rejoint les lève-tôt et, déjà, plusieurs centaines de personnes sont face à la scène, avec vue sur la rade.


Les 4 danseurs de H2H apparaissent et entrent dans un corps-à-corps, manu a manu, très aérien. Ce n’est pas de la danse, ce sont des relations humaines au quotidien, aussi tendues que des bras, qui s’affichent ici.

Des mains tendues également, séparées, rejointes, comme autant de ponts entre nous, encore et toujours à (re)construire.

Acte 4. Tout le monde à la porte
La vague matinale, puis le flot du public sont désormais devenus un tsunami dont les milliers de gouttes, bien pacifiques, sont rassemblées sur les premiers mètres de mon tablier. Les 2 maisons de péage deviennent ma porte symbolique, entrouvertes sur les immenses tablées, encore vides.

C’est Matt Feerick, de la compagnie Wet Picnic, qui coupera le cordon donnant naissance à la Frangleterre. Mais d’abord, il entend rendre hommage aux précurseurs de ce nouveau pays, les Johnnies. A vélo, chargés de kilos d’oignons du Léon, ils sillonnent l’Angleterre depuis plus d’un siècle.


La foule reprend en cœur la chanson des oignons, la larme à l’oeil et le sourire aux lèvres, au rythme des musiciens de la fanfare des Pattes à caisse qui les dirige ensuite vers le ruban inaugural. Un coup de scalpel chirurgical donnera le feu vert au pique-nique collectif et partagé. Il est 13h03 ; top départ.

Les services techniques de Le Relecq-Kerhuon ont prévu large en capacité d’accueil mais il faudra pourtant rajouter tout ce que les remorques comptent de tables, chaises et bancs. Les derniers arrivés finiront par s’installer entre les travées ou encore sous les arbres de la Frangleterre.

Je retrouve avec plaisir les joies des bouchons, oubliés depuis que je suis fermé à la circulation et découvre les agréables senteurs des salades, cochonnailles et autres spécialités fromagères.


Chaude ambiance et convivialité me font vivre avec émotion ce grandiose Picnic on the bridge 2013.

Acte 5 Comme un jour d’ouverture de la chasse
Si certains sont restés traîner un peu à table, d’autres ont vite repris le chemin des bois vers Great Yarmouth ou Winchester. C’est là que sont rejoués les 2 premiers spectacles du matin. Il est 14h33 et chacun cherche sa place ou son chemin dans la foule. La chasse est ouverte. Celle du spectacle, of course (d’orientation).


Aussi touchant qu’impressionnant dans sa maîtrise du jonglage, Poc entre en scène. Après avoir précieusement lancé son vinyle sur la platine, le voilà parti dans un numéro époustouflant, se jouant du rebond des balles et du vol des chapeaux. En Frangleterre, la gravité est universelle et le spectacle de toute beauté.


Ailleurs, 2(L) au quintal vend toujours le vivant au prix du mort et les 4 anglais de H2H s’enchaînent et se déchaînent. One more time, please. Le public est conquis...

Acte 6 Sur Big Ben comme en Frangleterre, il est 16h16
Les visages sont radieux ; les petits groupes d’amis se reforment à l’approche des maisons de péage de Sotteville et chacun raconte son spectacle du début d’après-midi. La Frangleterre, c’est le Wonderland d’Alice mais les compagnies de théâtre de rue n’y posent pas de lapin. 16H16, il est à nouveau temps de se séparer car No Tunes international attend dans le Bois de Peterborough.

D’un pas pressé, le regard inquiet, il entraîne le public à la recherche de son frère. L’instant est grave, le discours également.

« T’as de la chance d’être mon frère », certes, mais pour pouvoir te le redire, il me faut te trouver. L’émotion va croissante, les spectateurs suivent la course effrénée, entrent en empathie. Ce frère attendu est-il simplement au cœur du public ? Une chose est sûre, il restera dans le cœur de chacun, pour longtemps.

Direction Amiens, sur le parking Albert-Louppe, du nom de mon concepteur. Ici le ton est moins grave et c’est en famille que l’on est venu découvrir la prestation de Xtreme.
Les Flying brothers envoient leur show, décoiffant, à peine perturbés par l’arrivée d’un petit crachin so brittish. Il fallait bien que la météo anglaise participe à sa façon à cette radieuse journée.


A tour de rôle cheval de cirque, lion et support d’exploits, leurs vélos semblent être un simple prolongement de leur corps. Cette ode à la petite reine permet de faire un lien direct avec l’événement de clôture du Picnic on the bridge 2013.

Acte 7 ZEPA save the queen
La Frangleterre se devait de se doter d’une reine et Matt Feerick, des Wet Picnic, organise à sa façon une élection très démocratique, colorée de mille drapeaux.

Un événement pour la ville de Le Relecq-Kerhuon, berceau temporaire de la diplomatie internationale.

L’applaudimètre dans le public désigne rapidement l’heureuse élue qui reçoit les honneurs du premier magistrat de la ville, sous le drapeau de la Frangleterre.

La première mission de la Queen of Frangleterre sera de partir à la conquête de son nouveau territoire. C’est à bord du AmaPola, ancré sur la grève proche, qu’elle embarque pour son premier voyage officiel.

Saluée à terre par ces messieurs et en l’air par ces dames, j’ai donc le privilège d’accueillir, entre mes arches, the first journey of the first lady of the first « temps fort Breton du ZEPA2 », puis de voir filer la reine, toutes voiles au vent, entre les frêles piles de mon jeune voisin.


Il est 18h18 et les nombreuses personnes encore présentes passent une dernière fois entre les maisons de péage, le petit doigt en l’air because the cup of tea ! Cette journée fut grandiose, tant par l’accueil réservé par les milliers de personnes présentes aux compagnies artistiques que par la mise en scène concoctée par le Fourneau et Wet Picnic.
Déjà, dans les bois et sur mon tablier, tout le monde s’active pour faire place nette, ranger le matériel et enlever les décors. Demain, les piétons et cyclistes reprendront cette route et traverseront cette nouvelle frontière, immuable dans bien des esprits. Un nouveau pays est né dans l’inconscient collectif. Petit à petit, il y remplacera la Dame Blanche, cette White Lady qui, dit-on, a longtemps hanté mes travées sur lesquelles, désormais, il ne faudra pas oublier que l’on roule et marche à droite les lundis, mercredis et vendredis, et à gauche les autres jours. L’entente cordiale entre la Bretagne et la Cornouaille anglaise existe, je l’ai rencontrée aujourd’hui et suis fier, du haut de mes arches, d’avoir contribué à ce grand rassemblement festif et culturel. Sure, we can ! Chaud show week-end !

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